I est la courbe d'utilité du vin. II est la courbe d'utilité
du vinaigre. Si la quantité de vin possédée est ot
la rareté sera tm. La rareté du vinaigre, quand l'individu
n'en a pas du tout, est oj , et si tm est plus grand que
oj , il n'y a pas de transformation de vin en vinaigre.
Supposons que la quantité de vin possédée soit
oh, et que la rareté correspondante hn soit plus petite
que oj . Alors la transformation aura lieu.
Si l'individu transforme une très petite quantité de
vin, par exemple un centilitre, en vinaigre, il renoncera au plaisir mesuré
par la surface hnn'h'. La longueur hh' représentant
un centilitre. Mais l'individu gagne, en échange, le plaisir représenté
par la surface ojie , c'est à dire le plaisir de consommer
un centilitre de vinaigre; oe étant égal à
un centilitre, comme hh'. L'individu considéré bénéficie
de la différence entre le plaisir qu'il gagne et celui qu'il perd.
Cette différence est représentée par la surface geig'
. La longueur og étant égale à hn.
La transformation continuera évidemment jusqu'à ce que
le plaisir que gagne l'individu par la consommation du vinaigre ne soit
égal au plaisir auquel il renonce en diminuant encore sa consommation
de vin. C'est à dire : la transformation s'arrêtera quand
la rareté du vin sera égale à celle du vinaigre. C'est
l'expression du théorème de M. Walras, dans ce cas particulier,
extrêmement simple.
Si l'on porte la figure II sur la figure I, de manière que oj
se trouve sur hn, le point M, où se rencontrent les
courbes, est le point où les raretés deviennent égales
toutes deux à MP. La quantité de vin transformée
en vinaigre est représentée par hP; et notre problème
est résolu.
Nous observons encore: 1) que, grâce à la transformation
des biens économiques, l'individu s'est procuré un accroissement
de plaisir, ou d'utilité, mesuré par la surface Mnj.
2) qu'en arrêtant la transformation précisément au
point M, l'individu se procure le plus grand plaisir, ou la plus
grande utilité, qu'elle soit susceptible de donner. Pour cette raison
le théorème que nous venons d'exposer porte aussi le nom
de théorème de la satisfaction maxima. D'autres auteurs ont
fait connaître ce théorème en même temps que
M. Walras. Mais ce qui appartient à M. Walras c'est d'avoir donné
à ce théorème toute sa généralité,
et d'en avoir fait connaître la merveilleuse fécondité.
Compliquons un peu plus notre problème en supposant que l'individu
possède non seulement une certaine quantité de vin oh,
mais encore une certaine quantité de vinaigre ok, et qu'il
soit également possible de transformer le vin en vinaigre, et le
vinaigre en vin.
Si hn est plus petit que kL (Fig.1) c'est la première
transformation qui aura encore lieu. Au contraire si kL est plus
petit que hn (Fig.2), c'est le vinaigre qui sera transformé
en vin.
Dans les deux cas la transformation s'arrêtera au point M,
quand la rareté du vin sera égale à la rareté
du vinaigre.
Pour obtenir ce point M on portera kL sur hn,
en renversant la courbe II (la quantité de vin décroît
quand celle de vinaigre croît, et vice versa). Le point M
d'intersection des deux courbes est le point où s'arrêtera
la transformation. MP est la valeur commune de la rareté
pour le vin et pour le vinaigre. La surface MnL représente
le gain d'utilité que fait l'individu grâce à la transformation
des biens économiques. Ph est la quantité de vin qui
est transformée en vinaigre (Fig.1), ou bien de vinaigre qui est
transformée en vin (Fig.2). Introduisons une nouvelle complication
dans le problème. Supposons que l'unité de vin se transforme
seulement en 1/2 unité de vinaigre. Il convient de donner un nom
à cette proportion entre les quantités transformées.
La quantité de vin qui se transforme dans l'unité de vinaigre
sera dite le prix du vinaigre en vin. Si au lieu de vin nous considérions
la monnaie, ce serait le prix ordinaire. Dans l'exemple que nous
avons choisi ce prix est de 2. En général appelons-le p.
Nous dirons alors que 1 de vin se transforme en 1/p de vinaigre,
ou bien qu'il faut p de vin pour obtenir 1 de vinaigre.
Reprenons le raisonnement précédent. Nous supposerons,
pour fixer les idées, que ce soit le vin qui se transforme en vinaigre.
Une très petit quantité de vin, un centilitre par exemple,
se réduira à moitié (à un demi centilitre),
en se transformant en vinaigre. On continuera la transformation tant que
le plaisir qu'on perd en renonçant à la consommation d'un
centilitre de vin est plus petit que le plaisir que l'on gagne en augmentant
sa consommation d'un demi centilitre de vinaigre; on s'arrêtera quand
ces deux plaisirs seront égaux. Mais le premier est représenté
par la rareté du vin multipliée par un centilitre, le second
par la rareté du vinaigre multipliée par 1/2 centilitre.
Donc on s'arrêtera quand la rareté du vin sera égale
à la moitié de celle du vinaigre, en général
à 1/p de celle du vinaigre, si le prix est p.
Voici comment on détermine les quantités transformées.
Soit toujours II la courbe d'utilité du vinaigre, I celle du vin.
Si l'individu transforme une petite quantité hh' de vin en
vinaigre, il perd encore l'utilité hh'n'n, mais il ne gagne
plus, comme précédemment l'utilité aa'b'b (aa'
étant égal à hh'), mais seulement la moitié,
puisque 1 centilitre de vin donne seulement un demi centilitre de vinaigre.
Pour lever cette difficulté transformons la courbe II de la manière
suivante.
La courbe II peut être considérée comme résultant
d'une suite de petits rectangles. Doublons la hauteur de ces rectangles,
et pour que la surface demeure la même, réduisons à
moitié la largeur; nous aurons ainsi la courbe III. Celle-ci nous
représente non plus l'utilité directe du vinaigre, mais bien
l'utilité du vin transformé en vinaigre. Maintenant nous
n'avons plus qu'a reprendre mot à mot le raisonnement du cas précédent,
en employant la courbe III au lieu de la courbe II. Soit oa la quantité
de vinaigre possédée par l'individu. On prendra ok
double de oa; on portera kL sur hn, le point M
d'intersection de la courbe I, et de la courbe III renversée, sera
le point où s'arrêtera la transformation. MP sera alors
la rareté du vin, et la moitié de la rareté du vinaigre.
hP sera la quantité de vin transformée en vinaigre.
nML représentera le gain d'utilité que fait l'individu
grâce à la transformation. Si le prix est p, la courbe
II se transforme en multipliant par p les hauteurs, et en divisant
par p les largeurs des rectangles ou, ce qui revient au même
en multipliant par p les ordonnées et en divisant par p
les abscisses. Le reste du raisonnement ne change pas.
On peut d'ailleurs supposer qu'au lieu de la courbe II on donne de
suite la courbe III des utilités du vin transformé en vinaigre.
Supposons que je note le plaisir que me procure un premier franc dépensé
en tabac, puis un second franc, un troisième, etc.; j'aurai une
courbe, analogue à III, qui m'indiquera l'utilité des francs
transformés en tabac.
Laissons maintenant de côté le cas particulier du vin
et du vinaigre, et raisonnons en général. Nommons (A), (B),
(C), (D), ... des biens économiques en nombre quelconque. Le premier
servira de numéraire. Les prix des autres seront donc exprimés
en ce premier bien (A). Admettons qu'on puisse à volonté
transformer (A) en (B), (C), (D) etc ... , ou bien (B), (C), (D) ... en
(A). Soient : pb le prix de (B) en (A), pc le prix de (C)
en (A) etc. Dans ce qui précède (A) était le vin,
le vinaigre était (B), ou bien (C), ou bien (D) etc ... . Or nous
avons vu que la transformation de (A) en (B), ou vice versa ne s'arrêtera
que quand la rareté de (A) sera égale à la rareté
de (B) divisée par le prix de (B) en (A). On peut dire exactement
la même chose de la transformation de (A) en (C), (ou vice versa);
et ainsi de suite pour tous les biens économiques comparés
à (A). La rareté de chacun de ces biens divisée par
le prix doit donner pour quotient la rareté de (A). En d'autres
termes : Les transformations s'arrêteront quand les raretés
seront proportionnelles aux prix. C'est le théorème de
M. Walras dans toute sa généralité. Il faut faire
attention : 1) Qu'il s'agit de prix criés au hasard, ou fixés
arbitrairement, et non pas de prix courants. La détermination des
prix courants est l'objet du second problème dont nous avons parlé.
2) que tous les biens économiques, sans exception, possédés
par l'individu entrent dans cette formule.
On peut écrire cette formule de la manière suivante :
Rareté de (A) égale rareté de (B) divisée
par le prix de (B), égale rareté de (C) divisée par
le prix de (C), égale etc.
Ou bien avec les symboles algébriques, qui veulent dire précisément
la même chose
Si les biens économiques sont au nombre de m, les équations que nous venons d'écrire sont au nombre de m-1. Il faut en ajouter une autre :
qui indique que les biens économiques se sont simplement transformés
les uns dans les autres, sans gain ni déchet sur les quantités.
On a ainsi m équations, qui suffisent pour déterminer les
m inconnues
Supposons le prix exprimé en francs (seulement pour fixer les
idées). La rareté divisée par le prix indique alors
la quantité de rareté que l'on achète avec un franc.
En vertu du théorème de M. Walras toutes les quantités
de raretés qu'on achète avec un franc, quand cesse la transformation
des biens économiques, doivent être égales. En d'autres
termes : Les derniers besoins satisfaits au moyen de l'unité de
monnaie doivent être égaux pour tous les biens économiques.
Et c'est ainsi que l'individu se procure le maximum de bien être.
M. Walras a donné une démonstration géométrique
très élégante de son théorème, dans
le cas de plusieurs marchandises. C'est à cette démonstration
que nous avons emprunté la transformation de la courbe d'utilité
du vinaigre, quand le prix du vinaigre était 2.
Wicksteed exprime le théorème de M. Walras en disant
: "Le père de famille, ou la bonne ménagère, cherchent
à faire en sorte que le dernier sou (shilling, livre sterling, ou
dans chaque cas la plus petite somme sensible) soit dépensé
de manière, pour chaque bien, qu'il produise la même utilité,
ou le même plaisir. Si ce but n'est pas atteint, évidemment
l'argent n'est pas dépensé le plus avantageusement possible".
[Copyright Centre Interdisciplinaire Walras-Pareto, Université de Lausanne]